Christian Pisano
Ouvrages
Extraits
La contemplation du Héros
Chapitre 2 : LA QUÊTE DE L’IMPOSSIBLE
Les légendes, souffles des Dieux assoupis, nous murmurent des histoires de folie rugissante au creux du quotidien. Elles furent recueillies dans le ventre de la Terre et dans la profondeur des yeux du Ciel. Elles gardent encore le parfum de chagrins inavoués humides comme un jour de pluie sans fin, mais aussi les brûlures des solitudes désertiques. Elles ont le fol enthousiasme d’un jeu d’enfant qui s’est oublié dans les mascarades qu’il invente dans l’instant. Elles ont la douceur de son abandon lorsque fatigué il disparaît dans les bras de sa mère. Elles parlent d’un chien errant, d’un cœur trop lourd comme les nuages d’un orage d’été. Elles nous disent des attentes désespérées sur le quai d’une gare abandonnée. Elles crient des douleurs trop vives, blanches et imprenables comme un glacier. Elles chantent la joie de mariages impossibles et de leurs festins au détour d’un regard, de l’imprévu.
Elles nous parlent d’une humanité en exode et d’une lancinante nostalgie. Elles nous racontent les épopées d’êtres extirpés de leur anonymat traversant la vie dans une sarabande insensée. Cartes secrètes, routes interdites, passages oubliés, ils cherchaient le chemin du retour vers un chez-soi qu’ils n’avaient jamais quitté.
Le grognement de l’ours
A fleur de peau. Je rends grâce aux fractures inattendues de mon existence d’où jaillit une lumière aveuglante qui me laisse désarticulé et pantelant dans ces instants incandescents. Déboussolé par l’absence de repères, de stratégies, d’explications, de mots, de théories, livré à une peur sacrée qui éviscère. A fleur de tripes.
Je rends grâce à tout ce que je ne comprends pas, tout ce que je n’accepte pas, tout ce qui m’hérisse de colère et de haine, à tout ce que je rejette dans mon effroi, lave incontrôlable et jaillissante qui me consume totalement À fleur de cœur.
Je rends grâce à tous ces soleils noirs, épée de silence qui me transperce de part en part. Je rends grâce aux mains de l’horreur qui pétrissent mon cœur sur la table du réel.
Dans la chambre d’une clinique, ma mère était étendue dans le lit de sa complète vulnérabilité. Elle portait une couche comme un pagne d’innocence sur un corps perclus de douleurs. Elle me regardait comme si elle ne me voyait plus ses yeux lavés par l’épuisement. Je scrutais son visage à la recherche d’un signe qui ne venait pas. Il n ‘y avait que la nudité de sa présence quand toutes les issues de secours y compris celle d’un au-delà rassurant se dissolvent dans une terrible absence de réponse.
Je rends grâce aux cris de sa voisine qui emplissaient la chambre d’une litanie sacrée et inconnue. Elle jurait au ciel et récitait un chapelet d’injures et d’obscénités aux infirmiers. Elle jetait au sol sa nourriture que les chiens de l’absurde avalaient goulument.
A une infirmière qui lui faisait remarquer qu’elle était toute nue devant le fils de sa voisine elle s’écria dans un ricanement de fin du monde Ah son fils mais laissez moi rire. Puis plus tard, légèrement assoupie elle susurrait : « maman , maman ».
« Il me plaît de chanter à nouveau la nudité intérieure. Il n’y a plus de pensée, là où il n’y a plus rien de mien. Je suis réduit à rien. » Jean Tauler.