Le Yoga Iyengar
Approche et spécificités
- Action et rituels posturaux. Sens de direction
Dans le langage postural il y a trois rythmes qui peuvent être décrits comme les phases d’émanation, de maintien et de résorbtion. Ces rythmes prennent toute leur signification dans les sens de direction qui sont la fondation de l’alignement. Au début seront utilisés les mouvements externes des différentes formes posturales. Mouvements qui peuvent être verticaux, horizontaux, en spirale; mouvements d’expansion, de réduction, d’élargissement, de contraction. On appliquera ceci aux différentes parties du corps dans les différentes postures. La mobilité deviendra action qui est l’intelligence dans le mouvement déployant de sens de directions différents, opposés, des parties étant stables, d’autres mobiles. Dans cette phase le corps devient l’objet d’une concentration dynamique qui prendra appui sur les différentes parties du corps.
- Attention et Sensations
Dans la première phase la concentration dynamique était fragmentaire divisant le corps utilisant le mouvement et l’action. Elle doit laisser maintenant la place à l’attention qui n’est plus dans la focalisation mais dans une connection unifiante. On utilise l’image d’une huile qui se répand. La sensation y est prépondérante où l’on observe la teneur du corps, sa texture dans le courant de la pose. Cette phase passe par la notion d’alignement qui se réfère au concept de samattva ou d’équanimité.
La ligne médiane (bramakilla ou brahma danda) ainsi que le cercle ou bindu est le support de toutes les poses.
Tous les membres doivent s’intégrer dans la ligne. La connaissance de la ligne est la connaissance suprême. La ligne médiane est le support.
Vastu Upanishad (Upanishad des sculpteurs et constructeurs de temples.)
- Cidakasha: Le ciel de la conscience. Résorption du dynamisme postural dans la source de la pose
Ici l’attention elle-même se meurt et se termine dans l’espace de la conscience (cidakasha). La posture devient un mandala. Tous les dynamismes du faire, de l’action s’éteignent. “Lorsque tous les efforts se dissolvent dans le non-effort alors la posture reflète l’infini.” Yoga sutras. L’asana devient reflet de la source. Le corps apparait dans l’espace de la conscience.
Là où le jour et la nuit son abolis, la course du soleil et de la lune est suspendue....Au centre entre le soleil et la lune est un espace intérieur ne reposant sur rien...
Hatha Yoga Pradiipika
- L’application des techniques selon les besoins de l’individu ou l’approche graduelle (vinyasa krama)
La série posturale à une importance capitale dans cette approche. Les postures sont comme un collier de perles reliées par le fil de la conscience. C’est par l’enchaînement (vinyasa) que les postures se murmurent entre elles toute leur richesse où leur coloration et leur différentes résonances énergétiques se révèlent. Vinyasa Krama englobe plusieurs définitions:
- La position de départ, l’attitude pour rentrer, rester, sortir d’une posture selon un rythme synchronisé avec la respiration
- L'enchaînement graduel selon un flot de postures synchronisé avec la respiration
- La préparation graduelle des postures qui n’ont pas été maîtrisées s’étalant sur plusieurs mois
- La précision dans l’installation et le déploiement d’une posture
- Le déploiement des variations d’intensifications des postures ou les modifications apportées à une posture
- La phase de résorption et les postures qui déploient la sensation de calme
- Émanation, maintien, résorption posturale. Le temps dans les postures.
Au début de l’apprentissage la durée ne compte pas pour devenir plus tard prépondérante. S’installer dans la durée d’une posture ce n’est plus occuper verbalement le corps mais exister sensoriellement. S’établir dans une pose permet de l’évoluer. Abhinavagupta parle de deux visages de l’énergie, l’une ignée d’effervescence, l’autre terrestre de non-effervescence, de stabilité. Dans l’aspect ignée on incarne le processus d’éclosion, d’éveil, de bourgeonnement, d’épanouissement des éléments du plus subtil au plus grossier. La durée permettra de s’immerger dans une attitude particulière, d’un souffle particulier et de s’imbiber du goût de la coloration énergétique d’une pose et de sa résonance. Puis commence le processus d’involution, de repli qui est décrit comme pratique de l’évanouissement, de l’engloutissement. Le temps postural laisse le corps se pauser pour qu’il puisse être déposer dans le repos (visranti).
- Saguna, Nirguna, Sahaja: Du support au sans support et caresse du spontané.
Un des autres apports de BKS Iyengar est l’emploi de supports dans la pratique posturale. Les supports peuvent être une aide à l’éveil de la sensation ou tout du moins servir de poteau indicateur vers “la forme merveilleuse du firmament suprême”. Bien utilisés, les supports deviennent une source instantanée de compréhension intuitive de l’essence d’une posture. Ils donnent aussi accès à des zones inexplorées du corps ainsi qu’aux différents parfums posturaux.
Les postures du Yoga Iyengar
La légende dit que les postures sont des émanations de la danse de Shiva et qu’il y a autant d’asanas que de créatures vivantes.
C’est une manière poétique de signifier que toutes les formes (minérales, végétales, animales, humaines etc) ont leur assise dans la Conscience.
Ainsi les différentes formes d’asana ou alphabet postural nous permettent de revenir au corps de sensations.
On passe ainsi d’un corps pensé au travers d’une image au corps ressenti dans l’instant.
Les différents groupes de postures (debout, assis, extensions vers l’avant, extensions latérales, extensions vers l’arrière, inversés etc) sont là pour dresser une cartographie sensorielle du corps au travers des différentes régions, espace (pelvien, abdominal thoracique, crânien) et la respiration circulant dans ces espaces.
Mais aussi pour révéler certaines saisies et différentes contractions spécifiques à notre structure.
Quelle merveilleuse exploration qu’est celle du corps en tant que champ de la Conscience.
BKS Iyengar
Extrait d’un article de Christian Pisano publié dans le journal du Yoga.
Le lion de Pune est mort
C’est au petit matin du 20 août que j’ai appris le décès de mon maître Shri BKS.Iyengar. Le lion de Pune est mort. Pourtant il n’y avait pas de tristesse, mais une profonde nostalgie. La nostalgie de ce vent de liberté qui soufflait et s’incarnait dans sa présence. Un auteur a dit que le silence qui suit Mozart c’est encore du Mozart. Soudainement dans l’absence de sa forme, sa présence n’en devenait que plus évidente, radieuse dispersant les nuages des doutes pour laisser la place à l’émerveillement et à la gratitude.
Comment ne pas s’émerveiller du jeu de la Conscience qui s’incarne dans une histoire de légende et commence presque comme un conte. C’est en effet l’enfant chétif, maladif qui n’a aucun futur, sans une grande éducation que les dieux vont choisir pour que le yoga puisse être de nouveau révélé, embraser l’occident et regagner ses lettres de noblesse dans son pays d’origine.
Que de formidables tempêtes, obstacles, oppositions, désapprobations humiliations a-t-il rencontré et surmonté.
Les pratiques yogiques avaient un passé sulfureux. Bien souvent interdites et clandestines, elles s’adressaient aux renonçant, ceux qui fuyaient le monde. Le yoga était assimilé aux fakirs et autres vagabonds fous, bannis par la société. Quant aux pandits ils n’étaient intéressés que par une approche philosophique, intellectuelle qui bien souvent les amenait à la négation du monde et au déni du corps.
Quelle crédibilité pouvait donc avoir un homme marié qui pratiquait ce qui apparaissait comme des contorsions ?
La relation avec son guru Krishnamacarya fut tourmentée et emprunte de peur. Il ne resta que deux années avec ce dernier qui ne lui enseigna presque rien, mais lui fit remarquer qu’il n’était pas fait pour cet art.
De cette terrible tension entre l’absence de reconnaissance de son maître et le rejet de la société jaillissait une lumière qui allait éclairer le monde du yoga.
Quelle profonde solitude a-t-il dû connaître lorsqu’encore très jeune sans aucune expérience et connaissance il se retrouva à Pune pour enseigner.
Dans la tradition on parle de deux sortes de gurus. L’un qui a été formé par les rites, les initiations, l’accumulation de connaissances et qui les transmet. L’autre est celui qui n’est pas façonné (akalpitaguru) conventionnellement, mais qui est initié par les déités de sa propre Conscience et résonne d’une autorité spontanée.
Voilà ce qui caractérise à mon sens l’enseignement de BKS.Iyengar. Cette perpétuelle initiation à soi-même. Il disait la pratique était son mantra. Mantra qu’il a déclamé majestueusement jusqu’à la fin de sa vie. Son exploration était constante, en dehors des sentiers battus, ce qui lui donnait une liberté innovante qui révolutionne l’approche du yoga.
En voici quelques aspects
1- Le corps comme mandala de la Conscience
« Le corps est mon temple, les asanas sont mes prières. Chaque asana vous enseigne l’art du silence. Chaque asana est libre. Diffuser cette liberté partout. »
On peut dire qu’avec Sri BKS Iyengar le langage postural est devenu très clair, très précis. Il y a une clarification des asanas dans les différents groupes et leurs interactions. Cette interaction devient évidente avec la notion de série. Ainsi il a créé tout un alphabet postural qui nous permet de comprendre notre sémantique interne.
Un des grands axes de cette sémantique est le concept d’alignement qui n’est pas simplement un alignement physique extérieur, mais qui se réfère à l’équanimité (samatva). Cette compréhension est facilitée par l’utilisation des supports qui permet d’ouvrir la pratique à tout un chacun, avec bien sûr tout l’aspect thérapeutique propre à son approche. C’est un merveilleux cadeau fait à l’homme contemporain où qu’il soit et quoiqu’il fasse d’avoir la possibilité s’il le désire de pouvoir au travers de sa forme corporelle pressentir la Conscience. Ainsi lorsque l’on explore le corps on explore fondamentalement la vibration de la Conscience.
2- Le verbe précède la parole
« Pourquoi chanter OM ? Om est dans notre propre corps »
Sri BKS.Iyengar est bien sûr célèbre pour l’utilisation du langage dans la pédagogie pour décrire les différentes actions. Il s’en sert pour aller de plus en plus près de l’instruction interne qui elle est non-verbale mais qui est vibration et donc mantra.
La description de cette vibration interne dans l’action et le mouvement au travers du langage est une autre facette de son génie.
3- Observer les différentes colorations du mental dans la neutralité
« Passé et futur sont contenus dans chaque posture. Le présent c’est la pose parfaite. »
L’exploration des différentes formes d’asana devient la loupe des différentes attitudes mentales. Le placement est la clarté de certains espaces dans l’asana permet de rencontrer les antagonismes dans la neutralité.
4 - Le corps-mental comme expression du souffle
« Lorsque vous inspirez, c’est le seigneur qui pénètre en vous, lorsque vous expirez vous vous abandonnez à lui. »
Tous les asanas sont fondamentalement une exploration des différentes modalités respiratoires. Sri BKS.Iyengar nous a donné les moyens très efficaces (en privilégiant certaines asanas avec support) pour explorer les différents diaphragmes pelviens thoracique et vocal. La pratique intelligente des asanas est une condition sine qua non pour la compréhension des techniques de pranayama. Là aussi comme pour les asanas il y a une clarification des différentes techniques qui auparavant n’étaient décrites que très superficiellement ou pas du tout dans les textes.